Cela peut sembler étonnant mais l’astronomie et la physique ne se contentent pas de prouesses technologiques et spatiales comme les télescopes James Webb ou Edwin Hubble, d’accélérateurs géants ou encore d’immenses champs d’antennes ou de télescopes de tous types. La physique des particules, qui est celle qui tend à expliquer l’univers, recherche désespérément à mettre en évidence et surtout à compter certaines particules très discrètes comme les neutrinos. Il existe déjà des appareillages à l’abri de perturbations cachés sous des massifs montagneux notamment, mais leur sensibilité reste insuffisante. Avec le projet international KM3NeT la science passe la vitesse supérieure !
C’est quoi un neutrino ?
Des 5 % de l’univers connu, les neutrinos seraient le composant principal. Le problème c’est que le neutrino n’interagit pas avec la matière ce qui le rend quasi indétectable. Pourtant des milliards de neutrinos nous traversent chaque seconde, sans effet aucun. Le neutrino est produit en masse par les réactions nucléaires de fusion, notamment, au cœur des étoiles, mais aussi lors d’évènements cataclysmiques ou d’interactions de rayons cosmiques avec l’atmosphère. Il en existe trois types : rouge, bleu et vert. Ils peuvent aussi osciller en changeant de couleur. Pouvoir les compter et savoir pourquoi certains disparaissent en se transformant, est essentiel pour comprendre notre univers.
Le projet KM3NeT
Il s’agit de faire appel aux limites de la technologie mécanique et électronique pour immerger dans les profondeurs de la Méditerranée des centaines de détecteurs en réseau et d’en récupérer les données lorsque des évènements (passage d’un neutrino) seront comptabilisés et filmés. La théorie est séduisante mais la mise en pratique a été quasi infaisable, pour un résultat finalement dépassant les espérances.
Chaque détecteur de l’infrastructure de recherche sur les neutrinos KM3NeT est un réseau tridimensionnel de modules de capteurs répartis sur de grands volumes d’eau transparente dans les profondeurs. Les modules de détection sont des sphères de verre résistantes à la pression qui contiennent des tubes photomultiplicateurs pour la détection de la lumière et plusieurs instruments miniaturisés pour déterminer la position géométrique des modules et pour calibrer les signaux mesurés. Le module de capteurs est également appelé module optique numérique (Digital Optical Module ou DOM). Les modules sont disposés dans des unités de détection verticales en forme de chaîne, strings ou DUs ou en abrégé.
Les modules de détection enregistrent l’heure d’arrivée de la lumière Cherenkov générée dans l’eau de mer par les particules chargées, créées lors de l’interaction induite par les neutrinos avec l’eau à l’intérieur ou à proximité du détecteur. Les modules mesurent également l’intensité de la lumière et la position géométrique du détecteur à l’heure d’arrivée du signal. Les mesures sont transmises aux ordinateurs d’une station terrestre via un réseau de fibres optiques. Dans la station côtière, un logiciel intelligent filtre les données et reconstitue, à partir des mesures, les traces des particules traversant le détecteur. Les résultats sont envoyés par l’internet public aux centres de données KM3NeT pour une étude plus approfondie par les scientifiques.
Un DOM est constitué d’un récipient sphérique en verre dont l’épaisseur des parois est suffisante pour résister à l’énorme pression (jusqu’à 350 fois la pression atmosphérique normale) qui règne au fond de la mer. Dans ce récipient de verre, 31 tubes photomultiplicateurs ont été disposés de manière à détecter dans toutes les directions la faible lumière émise par les particules qui passent. Les tubes photomultiplicateurs doivent être alimentés par une haute tension d’environ 1000V. Cette tension est fournie par un circuit fabriqué sur mesure à l’arrière du tube photomultiplicateur. Cette carte a été miniaturisée afin de tenir dans l’espace limité disponible dans les entrailles de la sphère de verre, déjà encombrée par les autres capteurs.
Une petite impulsion électrique est créée par le tube photomultiplicateur lorsqu’un quantum de lumière l’atteint. Le DOM contient également d’autres capteurs utilisés à des fins d’étalonnage. Une boussole permet de savoir dans quelle direction pointe chacun des photomultiplicateurs. Des accéléromètres permettent de déterminer l’inclinaison, le tangage et le lacet du module. Un capteur piézo-acoustique permet de déterminer la position du DOM en 3D à l’aide d’une technique de sonar. Toutes ces mesures sont importantes car les DOM se déplacent sous l’influence des courants marins.
Un ensemble collier vertical de 18 DOM reliés par un câble électro-optique et disposés le long d’une structure verticale avec deux cordes est appelé unité de détection ou string, DU en abrégé. Le récipient en verre du DOM est entouré d’un collier en titane qui permet de la relier à deux câbles de 4 mm en Dyneema, une fibre artificielle à haute résistance, qui relient les DOM entre eux. Outre les DOM, une unité de détection dispose d’une ancre, dont le poids maintient l’unité de détection fermement connectée au fond marin.
Les détecteurs de neutrinos de type ARCA et ORCA
La première phase de construction de KM3NeT comprend 30 unités de détection de ce type qui sont installées au large de Toulon. Les versions ultérieures des détecteurs KM3NeT seront constituées de blocs de 115 unités de détection de 18 sphères. Des blocs de détection avec deux granularités différentes de modules de capteurs de lumière seront installés : ARCA et ORCA. Pour la phase de construction de KM3NeT 2.0, deux blocs de type ARCA seront installés sur le site de KM3NeT-It au large de la Sicile, où la distance entre les DOM le long des unités de la chaîne est d’environ 40 m et la distance entre les unités est d’environ 100 m. La hauteur de ces blocs est d’environ 700 m.
L’apport de l’université de Caen au travers du labo LPC
KM3NeT est un projet collaboratif qui mobilise 350 chercheurs basés dans une vingtaine de pays et dans une cinquantaine de laboratoires (en France, tous les labos de l’INP2P3du CNRS). Cette expérience incroyable concerne principalement la France et L’Italie mais les Pays Bas, l’Allemagne et l’Espagne sont aussi très actifs dans ce projet. À ce jour, 36 lig
nes de détection sur les 345 prévues sont en service.
Une partie des détecteurs est assemblée sur le campus de Caen et sourcée chez des sous-traitants locaux. Les composants sont de qualité militaire, voire créés pour l’occasion. Faire tenir tous ces équipements et détecteurs dans une sphère relativement réduite tient du tour de force, d’autant que bien des composants sont miniaturisés et très fragiles. Les moyens de transp
ort sur place et de mise à l’eau ont aussi nécessité des trésors d’ingénierie.
La calibration des détecteurs est aussi une phase essentielle. Notons que pour traiter l’énorme masse de données qui sera recueillie et filtrer les signaux parasites, l’IA et des algorithmes seront mis à contribution.
Les résultats
Le détecteur immergé au large de Toulon s’intéresse surtout aux neutrinos produits dans notre atmosphère par les rayons cosmiques.
Celui de Sicile piègera de plus hautes énergies et repèrera les flux provenant de toute notre galaxie voire au-delà. Ceci permettra d’orienter les télescopes qui interviennent dans la lumière visible et dans les ondes radio vers les cataclysmes nouvellement apparus. L’étude du projet a débuté il y a 15 ans et l’ensemble ne sera pas complété avant 2025.
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